Écoutons les agriculteurs raisonner
« Avant tout, je dis aux paysans que je les plains, sans la moindre condescendance. Ils font un métier difficile, encore plus difficile qu’il ne l’a été autrefois, même s’il est devenu aujourd’hui moins pénible, un des métiers les plus difficiles avec celui d’enseignant et celui de médecin. Ces trois-là œuvrent sur le long terme, ils aident les humains à se forger un avenir. Cependant, ils agissent dans un monde manœuvré par les hommes du court terme : le politique mobilisé par l’échéance électorale, le médiatique ébloui par l’actualité, le financier anxieux de prendre ses gains. Face à ces puissances, les paysans n’ont même plus l’avantage du nombre. » Michel Serres, philosophe, a préfacé ce livre qui rassemble les portraits et les témoignages spontanés d’une douzaine d’agriculteurs. Nous sont ainsi confiés leurs doutes, leurs espoirs, leur volonté de continuer à exercer leur métier. Un ouvrage à plusieurs voix auxquelles tentent de répondre un économiste et le rapporteur de l’agriculture raisonnée au gouvernement. Enquête, Laurent Jézéquiel, 220 p. 2006
Bonne lecture,
La lecture de cet ouvrage est très instructive. L’auteur a été missionné pour visiter une douzaine d’exploitations très variées dans leur taille, leur production, leur localisation géographique. Une bonne occasion, à première vue, d’être informé sur les paramètres économiques de chacune (une fiche synthétique précède chaque reportage à la première personne). Le côté humain est mis en avant de manière sympathique dans chaque exploitation, les chefs d’entreprise choisis semblent être de bons communicants. Ils nous expliquent leur « transition » vers le type d’agriculture dite « agriculture raisonnée » (ah, ah): moins d’intrants utilisés, ajustés au plus près des besoins calculés par ordinateur auquel on a fait ingurgiter une masse de paramètres physiques, capacité d’adaptation au marché pour une production qui doit être rentable et correspondre aux desiderata des consommateurs…
Maintenant, si l’on creuse un peu au-delà des différents « storytellings », on constate que bon nombre de ces témoins choisis exercent des responsabilités au moins locales dans les différentes instances de la FNSEA (le syndicat « majoritaire » des agriculteurs). À la manoeuvre pour cet ouvrage: l’association FARRE (« Forum de l’Agriculture Raisonnée et Respectueuse de l’Environnement », créée en 1993), celle qui pilote de temps en temps des coups médiatiques, par exemple un champ de blé éphémère sur les Champs-Elysées, ou des animaux de la ferme exhibés dans la capitale… L’agriculture qu’il s’agit de mettre en avant dans ce livre n’est donc pas notre agriculture paysanne (bio, locale, à circuit court… et souvent en lien avec une AMAP) telle que promue par leurs « concurrents » de la Confédération Paysanne, qui est totalement ignorée ici. La thèse sous-jacente du livre est bien que tous les agriculteurs en « conventionnel » ont vocation tôt ou tard à se rallier à ce modèle d’agriculture « scientifique » et informatisée, en se conformant à sa charte de bonnes pratiques (qui s’aventurent rarement au-delà de ce qu’imposerait déjà le respect des normes existantes). A contrario, ceux qui continueraient leurs pratiques antérieures apparaîtraient comme gavant la terre et les cultures d’intrants sans précautions, faute de se conformer aux fameux « paramètres à connaître ».
En conclusion, donc: un ouvrage intéressant en soi, mais une « communication » dont il ne faut pas être dupe (car d’autres solutions alternatives existent, dont la bio, la permaculture…).