Le 27 mai 2018, Yves de Fromentel nous a reçus pour une visite de sa ferme d’élevage en bio holistique. David de l’Amap Philippe-Auguste stagiaire en bac pro s’est occupé de la présentation. Le bio holistique est un projet de conduite en bio, subordonné donc au respect d’un cahier des charges. Mais les éléments qualitatifs : qualité nutritionnelle et qualité gustative entrent en ligne de compte. Le bilan humain et social doit être à la hauteur.
Nous étions 14 ! Il a fait très beau et chaud. Nous sommes arrivés vers 10h30 en remplissant au mieux les voitures !
Une histoire de ferme
La ferme est à Pécy en Seine-et-Marne à 70 km de Paris.
Elle dépend du Domaine de Beaulieu qui est dans la famille depuis 7 générations. Dans les années 1950, les parents d’Yves travaillent en polyculture-élevage, et produisent du fromage à la ferme. On y trouve une dizaine de cultures différentes sur les 170 hectares de terres et un élevage complet : vaches, moutons, cochons, poules… En 1976, la surface des terres est agrandie (location de 80 hectares dans l’Yonne [89], pour de la production céréalière), la ferme se spécialise dans l’élevage bovin (en Prim’Holstein). Les autres animaux sont vendus. La production augmentée ne peut plus être transformée à la ferme : elle est entièrement vendue à des industriels. En 1984, le père d’Yves augmente l’élevage bovin et construit une étable plus moderne, adaptée à la nouvelle taille de l’élevage et répondant aux normes de l’époque du bien-être animal. L’air de ce temps-là est aux économies d’échelles, investir permet de produire davantage et de rembourser les emprunts qui ont permis d’investir. La boucle est infernale et l’affaire n’est plus rentable.
Yves de Fromentel (né en 1959) a fait des études de mécanique. En 1993, il fait le choix de reprendre l’exploitation pour éviter que celle-ci ne sorte de la famille et la convertit en bio en 2009. Le changement est important : il passe par la reconversion vers un système de production plus petit, avec une production de qualité, valorisée à sa juste valeur par la transformation sur la ferme et la vente directe de proximité qui garantit que le lait est écoulé à un prix supérieur à son coût de production.
En 2017, la commercialisation des produits laitiers commence en AMAP, en « Ruche qui dit oui », et dans quelques magasins bio (biocoop ou autres), moyennant les tournées de livraison qu’assure Yves quatre jours sur sept en Seine-et-Marne (77), dans le Val-de-Marne (94) et jusqu’à Paris (75).
Une bête, ça mange
Nous sommes restés longtemps devant une douzaine de veaux à l’étable.
Des entraves — un système de barres — permettent que l’animal puisse se nourrir et s’abreuver dans le calme. Bousculée, la vache risque de moins manger et de donner moins de lait.
Une fois nourries et dégagées les vaches, un peu maigres — normal pour des laitières — quittent étable et litière pour rejoindre les prés.
Et ça donne du lait
Le troupeau compte actuellement une soixantaine de vaches laitières (une seule traite, le matin, qui commence à 07 h 30).
Avant le passage au bio, les vaches étaient toutes de race Prim’Holstein: de « l’usine à lait », sélectionnée pour être nourrie exclusivement de tourteaux de soja (importés), de « concentrés » scientifiquement élaborés et autres ensilages (l’ensilage étant une matière fermentée). Elles sont grandes productrices d’un lait de mauvaise qualité nutritionnelle : le taux butyreux est bas (et convient bien aux industriels du lait). Les vaches n’ont pas supporté le passage à l’herbe. Soucieux d’avoir un meilleur lait, Yves a décidé de recomposer progressivement, au fil des générations de vaches, son troupeau avec des variétés plus rustiques. L’insémination artificielle est choisie sur catalogue. Les Prim’Holstein sont croisées avec des mâles norvégiens. Les vaches ainsi obtenues sont elles-mêmes inséminées en semence sexée jersiaise pour le lait (ou blanc-bleu belge, pour la viande). On a fait la connaissance de Nicoline, une jeune jersiaise qui fait penser à un faon, qui est l’élue de cœur de David.
Dans les prairies
Depuis près d’une décennie, les 170 hectares de la ferme sont officiellement cultivés en bio (une dizaine de cultures différentes chaque année). Les terres sont drainées naturellement — système racinaire et vers de terre ! Mais aussi mécaniquement avec un réseau de drains parce que les mares dans un champs gênent le passage du tracteur. Aujourd’hui, ces terres sont de bonne qualité, riches en éléments minéraux. A une époque où le foncier agricole de qualité se réduit (la France perd l’équivalent d’un département de terres agricoles tous les 7 ans), ces 170 hectares ont de la valeur.
On aperçoit le bobcat et l’habileté de David à la manœuvre
Cet engin peut être équipé de différents outils : godet ; pinces à griffe (deux, trois ou quatre dents, selon la taille du ballot qu’il s’agit de saisir) ; griffe horizontale (pour le transport de la luzerne vers les auges) ; fourche à palettes pour transporter des charges ; outil « dérouleuse pailleuse » pour le paillage des zones de stabulation. Avec les sangles appropriées, le bras peut servir à lever une grille de fosse à fumier ou une vache qui a perdu son aplomb.
Yves nous a ouvert les portes de la cuisine du Château qui sert de gîte rural. On y a partagé notre repas.
Ceux qui avaient de bonnes chaussures — du genre à ne craindre ni l’urine ni les bouses qui imprègnent les litières – ont pu s’approcher du veau dernier-né. De 1 à 10 veaux séjournent à la « nurserie », une fois séparés de leur mère après la période « colostrum » (il faut leur apprendre à boire au seau – certains comprennent en 2 jours, pour d’autres, c’est plus long, mais le « biberon » n’est utilisé qu’en ultime recours).
On s’est quitté autour de 17h30.
Bonsoir Anne, merci pour ce billet qui j’espère donnera envie d’aller acheter des produits laitiers de la Fromentellerie. Je suis admirative devant la tenacité de M. de Fromentel qui ne ménage ni son temps, ni sa peine. Ce n’est pas un métier de « fainéant ». Bonne soirée.
Merci Anne pour ce long article bien documenté 😉
Quelques précisions dans la chronologie: le chemin qui a abouti à nos contrats de produits laitiers en AMAP n’a pas été un long fleuve tranquille!
A l’époque où la totalité du lait de la ferme de Beaulieu était écoulé auprès d’un industriel local (la « Société fromagère de la Brie »), dans les années 1980-90, la situation était viable. Le problème est que le prix du lait payé au producteur n’a pas augmenté depuis! Quand Yves est passé au bio en 2009, on continuait à lui acheter son lait bio au (même) prix du non-bio, alors que les coûts de production avaient augmenté. Il a perdu jusqu’à 20 000 euros par an avec l’élevage laitier, dans ces années-là. Et il tenait à conserver l’élevage bovin d’un troupeau de quelque 120 têtes à la ferme, pour le fumier permettant de « nourrir » ses 170 hectares de terres dans le cadre du « Bio holistique » tel que prôné par l’IRABE (Institut de Recherche en Agriculture Biologique pour l’Europe) – cf. http://www.irabe.fr.
Du coup, Yves de Fromentel a monté en 2014 le projet de valoriser son lait bio en le transformant à la ferme: cela voulait dire (re)construire « ex nihilo », et en tenant compte des normes du XXIe siècle, cette activité fromagère qu’il avait eu la chance de voir fonctionner du temps de ses parents (il savait donc que c’était possible!).
Mais cela a pris du temps (il a fallu réunir de gros financements – sans guère emprunter auprès des banques) et a demandé l’implication de toute la famille. Dans l’intervalle, pour arrêter la « vente à perte », il devait amener périodiquement du lait bio à 80 km de la ferme, pour que « Biolait » passe le prendre dans une ferme qui était, elle, dans la tournée de collecte de ce groupement de producteurs de lait bio qui ne voulait pas se déplacer jusqu’à la ferme de Beaulieu, trop isolée.
Maintenant, il doit continuer à augmenter ses débouchés (et, sans doute, revoir progressivement certains de ses tarifs à la hausse en fonction des coûts logistiques dont la vision s’affine – comme le fromage – au fil des mois…).